LILI DU MARQUIS
A l'origine, il y a toutes les questions que j'ai posées à mon père, la tentative de faire quelque chose de cette mémoire incomplète, ( voir extrait prologue dans la colonne de droite), le désir que ne disparaissent pas les histoires du peuple, les histoires du passé.
L'envie aussi d'aborder des thèmes qui me tiennent à coeur: qu'est ce qui forme un homme?
Pour Lili, petit paysan savoyard, deux instrituteurs, une famiille , et les récits des rescapés de 14-18 à la veillée...
Théâtre des 1001 portes" a joué cette pièce en 2006-7 dans une mise en scène de Jean Louis Kamoun et envisage de la reprendre en 2011 .
Texte protégé mais pas encore publié........à suivre
(Chœur de la mémoire des arbres)
Rayon de soleil -chaud- gratter tête . Bouger un peu, moitié endormi . Pousse toi, mais pousse toi donc . Coup de pied , simulacre de bagarre, sommeil , seule la haine est vraie . Ma place, ta place, toujours . Essaie un peu d’appeler maman, tu verras ce que je te ferai . Il pleure, le plus petit des deux. Mais maman, ça, non, jamais, même si les larmes en traînées sales sur les joues, même si envie de chaud autour . Maman dehors déja sans doute, charrier l’eau , charrier le bois, des choses qu’on ne sait pas . Maman pas là, maman fait tout . Maman regarde la route , beaucoup .
Lever. Soupe chaude sur le poêle. Epaisse aujourd’hui . Bonne. Bol ébréché, toujours pour le petit . Coule un peu .Tant pis . Frère moyen crie, frappe. Courir vite. Se cacher. Le temps passe dans le nid odorant du foin de l’année dernière .
Sent bon . Chaud . Se rendormir .
Journée en champ les vaches, avec grande soeur, plutôt gentille , caresse un peu, gratte, mais pense à d’autres choses, sourit, pleure, sais pas, maman dispute. Grand frère calme, beaucoup parti , travaille aux routes . Rentre tard, des pièces, des sous , maman contente un peu . Frère moyen parti à l’école . Tranquille, assis dans le pré en pente avec grande soeur . Soleil, chaud , gratter tête, école bientôt aussi . Pas à côté de mon frère , je veux . Apprendre à lire oui, mais assis tout seul .
En fin d’après midi un visiteur apparut au bout du chemin . L’enfant était seul avec les vaches et le chien . Il s’étonna que le chien ne montrât pas les dents à cet inconnu . Le chien s’approcha de l’homme et le sentit soigneusement . Il ne lui fit pas fête mais retourna s’asseoir satisfait ,comme pour bien montrer qu’il était à son poste et faisait ce qu’il y avait à faire . L’homme, vêtu de manière étrange et chargé d’un sac assez lourd, ne s’arrêta que pour laisser le chien sentir son odeur . Il repartit vers la maison, boitant un peu, sans presque regarder l’enfant .
Veillée du soir . L’homme est resté . Mangé soupe, polenta , bu la gnôle .Parti pisser dehors . Maman, pourquoi il a une robe cet homme . Maman rit . C’est ton père, c’est son manteau de soldat qui lui traîne aux pieds, pour lui la guerre est finie, le revoilà .
Dans la nuit la mère a gémi . L’enfant aussi , qui ne l’avait jamais entendue se plaindre ainsi dans le noir . Le frère moyen lance des coups de pied rageurs .Tais toi, mais tais toi donc .
Le lendemain, dans le pré en pente, l’enfant se fabriqua son premier jouet ,avec des bobines de fil de sa mère et des morceaux d’une caisse cassée . C’était un petit chariot qui ne roulait pas parce qu’il avait fixé les bobines tant bien que mal mais il apprendrait .Peut -être à l’école . L’instituteur savait sans doute faire des chariots qui roulent . En attendant il entassa dedans de l’herbe et des petits cailloux et rêva longuement d’y atteler des grenouilles ou des criquets . C’était le premier jouet de sa vie et il avait fallu qu’il le fabrique lui-même . Ce jour là, il se sentit grand .
La maîtresse, Eulalie Botrel
Une vingtaine d’enfants de six à quatorze ans
(Le premier prénom peut être remplacé par le 2e pour une distribution avec 4 femmes et 3 hommes seulement. Henriette, Séraphine, Ernestine, Lili, Albert, François, et Mlle B.)
Ou tout autre arrangement..
E B : J’espère que nous ferons du bon travail ensemble. Je sais que vous étiez très attachés à votre maître Monsieur Lepraz. Il a pris sa retraite et il habite maintenant chez sa fille à Moutiers. Je ferai de mon mieux pour le remplacer.
Ernestine : C’est votre premier poste, mademoiselle ?
E B : Le deuxième. J’ai commencé dans un village au dessus d’Aiguebelle.
Louis / Henriette: Mon père dit qu’ils vous ont chassée de là-bas.
E B : Chassée ? Non. Je voulais me rapprocher de ma mère, qui habite près de Grenoble. Les enfants, pour commencer vous allez tous me dire le meilleur souvenir que vous gardez de Mr Lepraz. Par exemple, la chose la plus importante qu’il vous ait apprise.
Grégoire /Ernestine: Ah Mademoiselle, ça c’est trop difficile, demandez moi de vous réciter la table de sept, ça j’ai fini par y arriver.
E B : La table de sept on y viendra, Grégoire, non, ce que je veux maintenant c’est que vous fermiez tous les yeux une minute… voilà…maintenant pensez à monsieur Lepraz…vous voyez son visage ? Il sourit ou il est sérieux ?
Séraphine : Il sourit Mademoiselle
Albert ( frère moyen) : Ah bien sûr, à toi il pouvait te faire des sourires, tous tes problèmes justes et pas une faute à tes dictées.
Gustave / Henriette: Il est sérieux mais pas en colère.
Lili : Il a une petite lumière dans l’œil comme quand il se retient de rire.
Thérèse/ Séraphine : Est-ce qu’on ne le reverra plus jamais Mademoiselle ?
E B : Je ne sais pas, Thérèse, peut être qu’on pourra arranger quelque chose.
N’ouvrez pas les yeux. Dites moi, maintenant. Le moment le plus important pour vous, pour chacun, de toutes ces heures avec monsieur Lepraz
Victor/ Henriette : Le jour où il nous a raconté Joseph Barra. Je veux être courageux. Comme lui. Mourir pour la patrie.
Ernestine : Jeanne d’ Arc sur le bûcher. Elle regarde en l’air vers les cieux et le feu lui brûle déjà les pieds. Elle est si belle. Vous aimez Jeanne d’Arc, Mademoiselle ?
E B : C’était une femme bien courageuse.
Louis/ Henriette : Mon père dit que Dieu l’a soutenue, en lui permettant de supporter ses souffrances, comme les chrétiens aux lions, moi c’est eux que j’ai préférés.
E B : je ne sais pas, Louis, elle croyait à quelque chose, certainement, et les premiers chrétiens aussi…mais il n’y a pas que Dieu pour nous aider à nous dépasser…
Henriette : Vous ne croyez pas en Dieu, Mademoiselle ?
EB : Je ne sais pas, je vais à la messe et j’aime les cantiques ,.. mais des preuves personne n’en a jamais eu………..Mais en l’homme oui je crois….je crois en l’homme, bien sûr.
Lili : C’est ce que dit Anselme quand il se dispute avec mon père à la veillée et mon père dit que l’homme est mauvais et Anselme dit qu’on peut changer ça
François (frère aîné) : Mais tais toi donc Lili tu es trop petit pour comprendre.
Albert (frère moyen) : Mon petit frère, Mademoiselle, il est tellement bête que quand mon père est rentré blessé en 1916, il ne l’a même pas reconnu et il l’a pris pour une femme !
E B : Ton frère avait cinq ans , Albert ,et ton père était parti depuis bien longtemps, et puis je suis sûre qu’il portait cette longue capote de soldat que ton frère ne lui avait jamais vue.
François : C’est vrai, Mademoiselle, et Mademoiselle, au fait, c’est moi qui remplis le poële le matin tout ce mois avec Albert, on apporte tous une bûche. Et après ce sera le tour de Thérèse et de Camille.
E B : Bon, je l’aurais demandé un peu plus tard.
Thérèse / Ernestine: Moi, mademoiselle, je veux parler du jour où Monsieur Lepraz nous a emmenés à Chambéry
Séraphine ; Et moi, du tour de France de deux enfants
Robert / Albert: Moi de la géométrie quand on fait les grandes figures au tableau
Clara/ François : Moi je veux dire une récitation
Lili : moi, quand je serai grand, je veux être instituteur et apprendre aux enfants .
Albert : Quand tu seras grand tu travailleras aux champs comme tout le monde et tu resteras ici toute ta vie. Et moi j’irai en ville et je travaillerai aux chemins de fer et je ne reviendrai jamais
Lili : Il faudrait déjà que tu aies ton certificat.
François : Et moi aussi, mademoiselle, il faut que je l’aie. Je veux travailler comme cantonnier avec mon père l’année prochaine et j’ai déjà échoué deux fois
E B : Tu l’auras, François, tu l’auras , fais moi confiance ;
( à suivre...)