C'est, si l'on peut dire, la suite de "Lili", ou en tout cas la suite de la saga familiale, faite de mémoire fragmentée et de fiction inventée.
Ca se passe de 1937 à 1949....
SCENE 1
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1937
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Suzon : La colère que j’avais ! Ce village, pour les vacances, passe encore, j’y avais de jolis souvenirs, mais aller y habiter pour toujours ! Autant s’enterrer directement au cimetière !
Papa, j’ai dix huit ans ! je suis bien en ville ! aller vivre là bas, autant aller s’enterrer directement au cimetière !
Oui, et autant parler à un mur ! Quand mon père avait quelque chose en tête même ma mère n’y pouvait rien. Il prenait sa retraite de gendarme, et ce serait dans son village natal. Il n’y avait plus qu’à suivre. Alors j’ai dit au revoir aux copines avec qui je rigolais après l’atelier , Marina dont les parents tenaient un café et Julie qui plaisait aux hommes, la petite Renée qui avait peur de tout et Sylvie avec son joli rire et sa façon câline de nous serrer dans ses bras.
Renée : tu nous écriras, dis
Marina : ca n’est pas juste, vraiment
Sylvie : ma douce tu vas nous manquer
Renée ce ne sera pas pareil sans toi
Marina : peut être que je pourrais demander à mon père de te faire travailler au bar, tu prendrais un meublé en ville.
Suzon Mon père ne voudra pas.. C’est une vraie tête de mule. Je vous écrirai les filles. Et je verrai si je peux venir me placer comme bonne l’an prochain.
Sylvie : Tu crois qu’ils voudront bien ?
Suzon : Ca les rassurera de me savoir chez quelqu’un.
On s’est écrit, assez régulièrement ce premier hiver. Mais ce qui m’a fait tenir, c’est la radio.
La mère «(chante) « sombreros et mantilles)
Suzon :Ma mère adorait Rina Ketty
Radio : « Aqui radio Andorre ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! »
Suzon Moi ce que je préférais c’était les disques demandés.
Radio : De la part de Robert pour sa chérie éternelle
Suzon : La radio c’était la gaîté dans la maison. C’était la fenêtre sur le monde. Devant la radio je respirais . Je n’avais même plus à me cacher de mon frère Jacques comme au temps de notre enfance
Jacques ( enfant) : Tu LIS ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !Je vais le dire à maman
Suzon : Pour ma famille, lire était une perte de temps, un luxe de riches oisifs ou de retraités. La radio était une institution, une amie. Et puis, elle n’empêchait pas l’activité.
La mère : Tu as fini ton repassage ? Epluche moi donc les légumes pour la soupe.
Suzon : Maman ? Tu peux mettre le poste plus fort ? J’entends rien avec l’eau qui coule !
Le père : Encore ces âneries de disques demandés ! Mettez plutôt le poste parisien, c’est l’heure des nouvelles.
Suzon : Mon père était un homme jovial avec ses amis et les étrangers, autoritaire et exigeant avec sa famille. Enfin je simplifie un peu , mais c’était souvent comme ça . Et je peux dire que si ma mère et lui se disputaient beaucoup, ça ne l’empêchait pas d’adresser des œillades aux dames à la première occasion. Les gens l’aimaient bien je crois. Je crois aussi que lui et ma mère n’étaient pas heureux en ménage. Alors lui, il avait les promenades à bicyclette, le café, son atelier, les longues palabres avec tous ceux qu’il rencontrait. Ma mère avait son thé, qu’elle buvait et offrait plus généreusement que toutes les anglaises d’Angleterre, et nous, et sa maison, et son jardin, et la radio
La mère : Tu as mal à la tête ? je vais te faire un thé. C’est la digestion, ça. Tu es fatiguée ? Tu veux un thé ? Ca va te remettre d’aplomb. ne reste pas à mionner comme ça ma fille. Bois un thé et remets toi au travail. Moi j’en boirai un avec toi, ça va me donner un peu d’allant.
Suzon : Le soir parfois on nous laissait veiller quand d’autres gens du village venaient écouter les pièces radiophoniques. A cette époque là , seulement trois familles avaient la radio. Les Montgeais, évidemment. Ensuite ceux du Marquis, parce que Lili, que je ne connaissais pas encore , enfin pas vraiment, avait dit à ses parents………………….
Lili : Pourquoi ne pas être curieux ? Pourquoi n’y aurait il que les bourgeois pour avoir le confort moderne ? .Nous aussi on a envie de savoir ce qui se passe dans le monde
Suzon : ………………Et nous. Alors voilà, c’était comme les veillées d’avant, sauf qu’il y avait la radio en plus.
Radio : Musique/ Extrait de pièce radiophonique
Suzon : Et mes frères et moi on restait là aussi. Les hommes buvaient de la gnôle , les femmes et les enfants de l’infusion. Mes copines me manquaient, mais je commençais presque à m’habituer
Une femme : Des prétentieux, avec leur radio.
Un homme : Des retraités ! Je t’en donnerai moi des retraités. Est ce que j’ai une retraite moi ?
Une femme Pas question que j’aille faire la veillée avec eux, même s’ils me le demandent.
Suzon : Et comme ça, entre la radio, ma famille, les voisins gentils et les voisins grincheux, l’hiver 37-38 a passé, et le printemps est revenu.
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La mère. Je suis moulue. Je vais me faire un thé.
Suzon : Je vais à la fruitière
La mère : Ne tarde pas . Le souper n’est pas prêt.
Suzon : La fruitière c’était un prétexte. On se retrouvait tous là , le soir, tous les jeunes du village, avec les bidons en fer-blanc, à attendre le lait mousseux. On riait et on se bousculait , on se cherchait, on se trouvait. On s’attardait autour du bassin. On chantait des chansons, on plaisantait. Les voisins ronchonnaient des protestations, des critiques, parce qu’on était bruyants et jeunes mais ils le faisaient sans colère, juste pour maintenir les traditions, et nous, on s’en tirait par une blague et on continuait de plus belle.
Bruit de moto pétaradante
Lucien : Ah voilà le Lili qui passe
Rose : J’irais bien à la vogue dimanche
Suzon : Lili avait acheté une moto, une dollar, et les dimanches il menait les filles au bal. Sinon, on faisait facilement dix kilomètres à pied et retour, ensemble, bras-dessus bras-dessous, sans se plaindre, pour le plaisir d’aller danser. Mais la moto, ç’était un avantage ! Lili avait pu l’acheter parce qu’à ce moment là son père avait sa retraite de cantonnier , que lui même donnait volontiers un coup de main aux routes ou aux constructions, et que la famille avait quatre vaches, une vraie richesse . Et puis il était seul avec ses parents depuis que les trois aînés avaient fait leur vie.
Radio : valse musette
Le père : Suzon, rentre à la maison !
Lili : Il y a quelqu’un ?
Le père : Il te faut quelque chose ?
Lili : J’ai acheté un bison d’essence et…
Suzon : Non, ce n’est pas ça, je me trompe. Je recommence.
Le père : Oh Lili, te voilà bien gai à siffler comme un pinson
Lili siffle : Insouciante bergeronnette
Joli petit oiseau des cieux
Le père : Ils attendront bien un peu ton bidon d’esssence, chez toi. Nos meubles ont fini par arriver et j’ai besoin d’un coup de main
Suzon : Pendant le reste de l’après midi, ce jour là, j’ai regardé les hommes en train de décharger et de monter les meubles. J’ai souri à Lili et lui, il m’a souri aussi.
Radio : Chanson d’amour. Lili et Suzon dansent. « la java bleue »
La mère : Suzon tu es trop jeune !
Suzon : Mais je n’ai pas envie de me marier !
Le père : Ne t’en vas pas fauter et nous mettre tous dans l’embarras
La mère : Profite de la vie ! Lili a huit ans de plus que toi !
Le père : Il n’a pas de situation ! Si encore c’était Albert !
Suzon : mais Albert ne m’intéresse pas
Albert avait encore quatre ans de plus de toute façon. Et Lili était jeune et optimiste, il dévorait la vie. Tous les deux, vraiment, on s’est bien amusés pendant sept ans.
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