Quartier libre : Les marcheurs.
© crédit photo : Sebarjo (qui écrit aussi sur "impromptus littéraires")
Consigne: Un texte inspiré de cette photo
Au début, il y eut quelques voyageurs sans bagage ou presque. Peu de gens les voyaient. Les rares vigilants cherchaient des explications rationnelles. Bagages à l’hôtel. Simple promenade. Les autres n’y prirent pas garde, occupés qu’ils étaient en gourmandises glacées et magazines de même. Les moins aisés faisaient le compte de ce qu’il leur restait pour finir les vacances et se plaignaient de quelques mendiants peu décoratifs.
Peu à peu, les voyageurs dessinèrent au long de la plage une sorte de trajet sinueux. On s’étonna un peu de leur démarche fatiguée, de leur tenue poussiéreuse, de leur regard perdu. Ils avançaient comme en leur monde. On s’écartait un peu. Puis on pensait à autre chose.
La densité. Ce fut la densité de leur marche, en quelque sorte, qui décida la municipalité à se réunir pour réfléchir à la situation. Les commerçants se plaignaient. On achetait beaucoup moins de glaces et de magazines. Les touristes disparaissaient peu à peu et les marcheurs ne semblaient avoir besoin de rien. Un conseiller municipal proposa de contacter d’autres villes de la côte pour savoir si elles avaient été confrontées au même problème. Et en effet. Il semblait qu’une ligne infinie de marcheurs de poussière avançait lentement, inexorablement, vers on ne sait quel havre perdu.. Chaque jour ils étaient plus nombreux à venir grossir la foule en marche.
On ne pouvait plus les arrêter. On ne pouvait ni leur parler, ni attirer leur attention. Et même, peu à peu, les habitants de la ville et les quelques touristes de septembre se sentirent comme contraints de les rejoindre. A peine avaient ils commencé de cheminer à leurs côtés qu’ils devenaient comme eux, gris sombre comme bois calciné, poussiéreux, épuisés, sans visage, sans nom, sans bagages, sans avenir.
Seule restait cette ligne mouvante. Seule restait cette dérive . Seule restait cette migration sans fin.