Ce texte, (protégé mais pas encore publié.......suivez mon regard) est destiné à une troupe d'adultes voulant monter un spectacle pour jeune public à partir du collège. Il parle du monde d'aujourd'hui vu à travers une famille qui se débrouille comme elle peu tout en essayant d'inventer la vie. Le fils aîné a écrit sa première pièce de théâtre et tente de la monter avec les autres membres de sa famille, ce qui ne va pas sans difficultés. En même temps j'avais envie de rendre hommage à Brecht avec un sourire fraternel (craint dégun!) . Et de manière générale à tous les auteurs qui pensent que le théâtre a cette responsabilité là aussi, parler du monde, justement. Et ce texte parle aussi de l'absence, provisoire ou définitive, de ceux qu'on aime, et de comment on se débrouille avec. Et avant tout il parle de l'urgence de vivre, mais aussi de prendre son temps.
Comment Kei-Ui détruisit les montagnes
Les présents sur le plateau
Léo, 65 ans, retraité de l’enseignement public (il joue Kei-Ui , dans la pièce de Théo, ainsi que le Sage des montagnes et le peuple)
Fred, son fils, 45 ans (Chang Yang le paysan, l’Empereur Lê, le peuple)
Théo, son petit-fils, 17 ans (auteur de la pièce dans la pièce, joue le chœur et Tiê Mi l’enseignant)
Nati, sa belle-fille, 40 ans, infirmière ( Li Ying la paysanne, Sang Li le médecin, le chef des pillards, le peuple)
Steve, 27 ans, un voyageur australien
Les absents/présents
Sylvie, 64 ans, femme de Léo, en voyage
Valère, 11 ans, frère de Théo, hospitalisé (le jeune Chen Gao)
Armand, père de Léo, grand-père de Fred, arrière-grand-père de Théo, décédé un an plus tôt à l’âge de 96 ans)
*************************************************************************
Scène 1 : C’est comme ça chez nous tous les jours |
Léo, Fred, Théo et Nati répètent une scène de la pièce de Théo. Vagues costumes chinois. Texte en main.
Théo ( le chœur) : Cette année là, il y eut une grande famine dans les villes.
(les autres jouent le peuple des villes, cherchent de la nourriture et se plaignent de la faim)
Quelques pillards se mirent à attaquer les paysans pour leur dérober de quoi manger.
Cela arriva aux oreilles de Kei-Ui, le conseiller de l’Empereur.
Nati / le chef des pillards (à Fred/ Chang Yang le paysan) : Nous avons faim ! Vous avez à manger pour nous tous. Donnez-nous la moitié de vos réserves. Et tant que nous y sommes, nous emporterons quelques vases et quelques tapis.
Fred / Chang Yang le paysan : Jamais de la vie. Vous n’avez qu’à travailler au lieu d’attendre qu’on vous nourrisse.
Nati / le chef des pillards : Mais nous travaillons quand nous le pouvons.
Fred / Chang Yang le paysan : Nous avons tout juste assez pour nous. Pas question de partager.
Théo / le chœur : Cela arriva aux oreilles de Kei-Ui, le conseiller de l’Empereur.
Léo (Kei-Ui ) : Bonne affaire ! Je deviendrai bientôt Empereur à la place de l’Empereur.
Théo/ le chœur : Et en effet, quand le vieil Empereur fut malade, Kei-Ui le fourbe paya grassement un grand nombre de messagers qui s’en allèrent répandre aux quatre coins du pays la rumeur suivante : le vieil Empereur n’était plus capable de défendre le peuple contre les pillards. En revanche, lui, Kei-Ui, se faisait fort de les protéger tous et de les débarrasser des affamés qui les menaçaient.
Léo : le vieil Empereur Lê : Eh, attendez un peu ! Je suis encore là !
Le peuple : (Nati et Fred) : Vive le nouvel Empereur ! Nous n’avons plus peur ! Kei-Ui nous protègera et résoudra tous nos problèmes.
Léo : Excuse-moi Théo mais cette dernière phrase me paraît un peu faible. Ca sent la sitcom américaine à plein nez.
Théo : Mais vous êtes pénibles à la fin, on peut improviser là dessus… Kei-Ui nous donnera de beaux programmes télé, Kei-Ui nous donnera un idéal dans la vie…
Fred : Ce n’est pas franchement mieux.
Théo : L’essentiel c’est la situation. Il faut que le public comprenne la situation.
Nati : Ca me semble assez clair.
Fred : Mais pourquoi ta pièce s’appelle-t-elle « Comment Kei-Ui détruisit les montagnes ? »
Théo : Tu vas voir. Ca s’explique à la fin.
Nati : On se dépêche un peu, là, parce que je prends mon service à vingt et une heures. Fred, tu rentres de plus en plus tard.
Fred : Pas le choix. Si je veux garder mon boulot, faut que je finisse les projets dans les temps.
Léo : Ou qu’ils embauchent.
Fred : Rêve toujours, papa. On n’est plus dans ton monde.
Théo : Bon, on lit la scène suivante, donc ?
Nati : En vitesse, alors.
Théo (le chœur) Le Sage des montagnes essaya en vain d’avertir le peuple.
Léo / le Sage des montagnes : Peuple des campagnes, ne renoncez pas à tout ce qui fait votre vie.
Fred et Nati (le peuple ) : Mais nous y avons déjà renoncé ! Les choses ne sont plus comme autrefois ! Le pays n’est pas sûr ! Les pillards volent nos provisions ! Tous les jours ils sont plus nombreux. Nous devons dormir dans nos garde-manger et nous ne pouvons plus aller aux courses de chiens ou aux compétitions sportives qui faisaient notre bonheur.
Fred : Courses de chiens, tu es sûr ?
Théo : Ou quelque chose d’approchant… Je chercherai sur wikipedia !
Fred : Les anachronismes sont intéressants jusqu’à un certain point, mais c’est quand même un effet facile.
Théo : Oui, bon, c’est du détail, c’est la situation qui compte. On reprend ?
Léo / le Sage des montagnes : Kei-Ui n’a qu’une seule ambition : s’enrichir et enrichir ses proches.
Nati et Fred / Le peuple : Tant que nous aurons nos montagnes, nous serons riches. Nos montagnes nous protègent, c’est une vieille tradition qui le dit. Pour le reste, nous faisons confiance à Kei-Ui, il s’occupera de tout.
Léo : Tes métaphores sont un peu poussives.
Théo : Attends, tu vas voir la suite.
Nati : Oui, eh bien, demain peut être, parce que là j’y vais. (elle sort)
Fred : Et moi je vais cuisiner quelque chose. Je peux compter sur ton aide, l’artiste, où tu as une urgence d’écriture ?
Théo : Steve a dit qu’il nous préparait une spécialité.
Fred : Pas sûr d’aimer le ragoût de kangourou.
Léo : Toujours les clichés.
Fred : Oui, j’aime ça les clichés, papa. Ca me repose. ( Fred et Léo sortent.)
Théo : J’arrive dans deux minutes
Théo : (Au public) : C’est comme ça chez nous tous les jours. Un asile rempli de fous qui aiment la vie et qui n’hésitent pas à jouer mes pièces de théâtre même si - comme dit mon grand-père Théo - jusqu’à nouvel ordre Brecht a fait beaucoup mieux. Mais bon, je n’ai que dix-sept ans après tout. Et normalement, il y a deux personnes en plus. Mon petit frère Valère, qui est à l’hôpital, et ma grand-mère Sylvie qui est quelque part sur la route avec son sac à dos. Avant, il y avait aussi mon arrière-grand-père Armand, qui est mort il y a six mois. Et parfois, il y a en plus un ou plusieurs voyageurs qui dorment dans la chambre du grenier, là-haut. En ce moment, c’est Steve, un Australien qui joue du didgeridoo. Mon père, il a demandé si possible que Steve arrête de jouer quand il rentre du boulot. C’est dur pour lui là bas en ce moment dans son entreprise, alors quand il rentre, le plus qu’il puisse accepter, c’est de jouer un petit rôle dans ma pièce. Ce qui est déjà, je trouve, une grande preuve d’amour paternel.